Vegetalis (FR-EN-NL)

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La série de sculptures entamée dès 2018 consacrée à un répertoire de formes végétales alliées à des formes du registre anthropomorphique a vu le jour consécutivement à une prise de conscience favorisée par diverses lectures. En premier, des livres du philosophe français Michel Onfray, en particulier celui intitulé Cosmos, et par suite, car par lui référencé, L’Homme-plante de J. J. Offray de La Mettrie datant du 18e siècle, et encore quelques ouvrages de Hubert Reeves, astrophysicien québécois bien connu.

Sans m’être impliqué dans une recherche scientifique d’aucun type, je me suis reposé sur l’idée simple faisant sens de nos jours que l’humain procède de la matière des étoiles, des atomes assemblés des mondes minéral, végétal et animal. À l’évidence depuis les travaux de Darwin, il apparaît que l’homme descend d’une espèce de singe, lui-même descendant d’une espèce de lémurien, lui-même descendant de… ce qui nous amène à deviner que dans le monde physique dans lequel nous sommes apparus, tout est lié, intimement imbriqué. Il n’est dès lors pas déraisonnable de reconnaître la part capitale du végétal dans le processus de notre apparition au monde. En effet, les algues puis les plantes ont joué un rôle déterminant à la charnière du vivant. Ces cellules vertes capables de photosynthèse n’ont eu de cesse de se complexifier, s’adaptant aux marées et aux lunaisons, réagissant à la gravité, émettant des bruits, évaluant des distances, échangeant leurs gènes… Les sciences nous révéleront sans fin de nouveaux aspects surprenants sur ces êtres que nous pensons mutiques, insensibles, dépendants, inactifs…

Rappelons que les plantes seules sont responsables de la présence d’oxygène libre dans notre atmosphère, qui autorise la vie sur Terre.

Forcément, il y a de la plante en nous. Pourquoi ne pas lui rendre hommage ? C’est ce que je me suis fixé comme objectif avec cette série de sculptures.

Bien évidemment, les plantes sont le plus souvent légères, graciles, en mouvement par leur relation avec le vent et leur croissance, colorées, évolutives… tout ce que la sculpture n’est pas. Il n’en demeure pas moins que la structure des tiges, des nervures des feuilles, des bourgeons, des bulbes, des pédoncules… sont proches du monde de la sculpture. Il suffit de regarder de près les végétaux pour découvrir les univers tridimensionnels qu’ils nous offrent, ou encore d’observer des macro-photographies, surtout celles de Karl Blossfeldt. Pourtant, je n’ai pas besoin de les consulter pour élaborer mon monde créatif. Pour les avoir observés dans le passé, je sais comment ils sont constitués. Mon propos sculptural n’est pas tributaire des préoccupations du botaniste… Je ne me documente pas, je n’ai pas besoin de m’en imprégner pour faire reposer mes recherches formelles sur celles de la nature.

L’élaboration d’une nouvelle sculpture dans cette série « Vegetalis » repose sur le montage depuis le pied, de colombins fixés les uns sur les autres (ces longs boudins d’argile utilisés pour fabriquer des poteries sans tour). Leur forme, leur poids, leur épaisseur, la nature même de l’argile employée conditionnent les possibles. Les aléas du modelage, les outils choisis, la vitesse d’exécution… créent des structures que je m’efforce de faire correspondre avec ce que je sais du monde végétal. Le reste est une question de sensibilité esthétique personnelle, enrichie par tout ce que j’ai pu admirer au long de ma vie dans la nature, mais aussi dans l’observation d’œuvres de créateurs appréciés.

Le plus surprenant, et qui est le seul mystère dans ce que je réalise : certains volumes semblent émaner naturellement de mes mains au travail et de mon esprit en train de manipuler l’argile. Je ne m’efforce pas de chercher véritablement. Hormis la patience et la curiosité, aucun courage n’est requis, les formes surgissent sans que j’aie recours à quelque modèle que ce soit. Il y a comme une évidence qui commande à mes doigts de pincer, de frotter, d’enlever, à mes paumes de serrer, à mes articulations de s’enfoncer, au tranchant de la main de diviser, au poing de frapper… De cette naturelle disposition, je me satisfais indéniablement. Une à trois journées viennent généralement à bout de chaque sculpture. Plus j’en réalise, plus elles semblent communiquer entre elles, l’une entraînant l’autre, comme si des rhizomes les reliaient. L’arrêt prolongé entre ces réalisations casse le rythme de création. La cessation engendre les questionnements paralysants, les doutes, et la reprise manque alors de confiance, jusqu’à ce que, de nouveau, l’élan entraîne un processus fécond. C’est comme cela que ça se passe, faisant de quatre heures une seule, dévorant le temps qui m’est imparti pour tout vivre de l’essentiel d’une vie.

L’autre versant de ma création réside dans les modes de cuisson, en raku, rarement, au four papier parfois, au four à bois, le plus souvent. Les cuissons au bois ont ceci d’intéressant que ce sont elles qui fixent définitivement l’aspect de mes pièces. En effet, selon la nature de l’argile utilisée, le nombre de pièces enfournées, la proximité ou l’éloignement des flammes vives, l’emplacement sur les étagères en matériau réfractaire, la durée de la cuisson (entre 20 et 30 heures), les essences des bois utilisés et leur calibre, la quantité d’oxygène offerte, la courbe de cuisson adoptée… le résultat est différent. Elle s’avérerait quasi scientifique la démarche qui prétendrait obtenir une constante dans le processus de cuisson. Sachant que c’est le feu qui est le souverain maître, il convient juste de veiller à ne pas commettre les impairs qui seraient fatals aux pièces enfournées. Ce consentement (le fait de confier au feu et aux caprices des éléments mis en présence la clôture de la réalisation même) constitue selon moi une philosophie vivante.

Attendre trois jours le refroidissement du monument en briques réfractaires est alors une épreuve, mais l’ouverture du four et la découverte de ce qui s’est produit apporte toujours son lot de surprises, et quelques-unes, parfois, sont désagréables, et justifient de reprendre le métier.

José Strée

 

« Vegetalis » (EN)

The series of sculptures begun in 2018 devoted to a compendium of plant forms combined with a register of anthropomorphic shapes was born following an awareness favored by various readings. Firstly, books by the French philosopher Michel Onfray, particularly the one entitled Cosmos, and subsequently, because by him referenced, L’Homme-plante by J. J. Offray de La Mettrie dating from the 18th century, and still some other works by Hubert Reeves, well-known Quebec astrophysicist.

Without having involved myself in any type of scientific research, I relied on the simple idea that makes sense nowadays that humans come from the stars matter, from the assembled atoms of the mineral, vegetal and animal worlds. Obviously, since Darwin’s work, it appears that Man descends from amonkey species, himself descending from a species of lemur, himself descending from… which leads us to imply that in the physical world in which we emerged, everything is linked, intimately intertwined. Therefore, it is not unreasonable to recognize the crucial role of plants in the process of our appearance rise in the world. Indeed, algae and then plants have played a decisive role at the turning point of life. These green cells capable of photosynthesis have constantly become more complex, adapting to the tides and lunations, reacting to gravity, emitting noises, evaluating distances, exchanging their genes… The science will endlessly reveal new surprising aspects about these beings that we think mute, insensitive, dependent, inactive…

Remember that plants alone are responsible for the presence of free oxygen in our atmosphere, which allows life on Earth.

Inevitably, there is plant in us. Why not pay tribute to this ? This is what I set myself as target with this series of sculptures.

Of course, plants are most often light, slender, in motion through their relationship with the wind and their growth, colorful, evolving… everything that sculpture is not. The fact remains that the structure of the stems, leaf veins, buds, bulbs, peduncles… are close to the world of sculpture. All you have to do is look closely at the plants to discover the three-dimensional universes they offer us, or even observe macro-photographs, especially those of Karl Blossfeldt. However, I do not need to consult them to develop my creative world. Having observed them in the past, I know how they are formed. My sculptural subject is not dependent on the concerns of the botanist… I do not document myself, I do not need to steep myself to base my formal research on those of nature.

The elaboration of a new sculpture in this “Vegetalis” series is based on the assembly from the foot, of coils fixed on top of each other (these long sausages of clay used to make pottery without a wheel). Their shape, their weight, their thickness, the very nature of the clay used condition the possibilities. The modeling vagaries uncertainties, the chosen tools, the execution speed… create structures that I strive to match with what I know of the plant world. The remainder is a matter of personal aesthetic sensitivity, enriched by all that I have been able to admire in the wild throughout my life, but also into the works observation by appreciated creators.

The most surprising, which is the only mystery remaining in what I create : specific volumes seem to rise naturally from my hands at work and my mind manipulating the clay. I don’t really intend to search or look for something. Apart from patience and curiosity, no braveness is required, the forms arise without me having to rely on any model whatsoever. There is something obvious that commands my fingers to pinch, to rub, to remove, my palms to squeeze, my joints to sink, my hand’s edge to divide, my fist to strike… from this natural disposition, I am undeniably satisfied. Usually, one to three days are enough to come to the end of each sculpture. The more I realize, the more they seem to communicate with each other, one driving the other, as if rhizomes connected them. The extended break between these achievements breaks the creation pace. Discontinuation breeds paralyzing questions, doubts, then resumption lacks confidence, until again the momentum leads to a fruitful process. This is how it goes, making four hours turn into one, making the most of my given time to experience all from the life essentials.

The other side of my creation lies in the firing methods, rarely in raku, sometimes in the paper oven, and most often in the wood oven. Wood firings are interesting in the fact that they are what definitively seal the aspect of my pieces. Indeed, depending on the nature of the clay used, the number of pieces baked, the proximity or distance from open flames, the location on the refractory material shelves, the duration of the cooking (between 20 and 30 hours) , the wood species used and their caliber, the gifted quantity of oxygen, the cooking curve adopted… the result is different. The approach that would claim to obtain a constant in this cooking process would turn out to be very close to scientific. Knowing that it is the fire which is the sovereign master, it is necessary to take care not to make the odds which would be fatal to the pieces in the oven. This consent (the action of entrusting the fire and the elements moods brought together for the achievement closing itself) constitutes, in my opinion, a living philosophy.

Waiting three days for the refractory brick monument to cool is then a challenge, but opening the oven and discovering what has happened always brings its share of surprises, and some, sometimes, are unpleasant, and justify to resume the work.

José Strée

Traduction : Sven Marquet

 

Version néerlandaise (à venir).