David Lynch

David Lynch

David Lynch

 

Je me suis rendu hier à Maastricht pour visiter au Bonnefantem Museum l’exposition rétrospective de l’artiste américain David Lynch.

Une journée parfaite, car rien d’autre n’était véritablement au programme. Quitter la maison par un temps ensoleillé, me diriger lentement vers la ville hollandaise toute proche pour ne lui consacrer que la seule visite d’une exposition, voilà qui m’a donné le plus parfait contentement.

Le peu de la ville que j’ai vue était en trop, ces bâtiments du quartier de l’avenue de la Céramique m’ont fait songer aux peintures de Cremonini, l’humain en moins. Ces immeubles rutilants — où aucun rideau ne diffère de tous les autres, qui perturberait le rythme architectonique conçu par quelque édificateur en quête de cohérence stylistique —, ont fini par rendre aseptisée la courte déambulation que je fis à l’approche du musée dessiné par Aldo Rossi.

L’exposition de Lynch était impressionnante. Elle dure jusqu’au 28 avril 2019. Il s’agissait d’une rétrospective, le genre d’exposition que je préfère, car on s’y plonge durablement pour embrasser la création d’une vie entière, sans être interrompu par la considération de l’œuvre d’un ou de plusieurs autres artistes.

Après avoir fait connaissance avec l’atmosphère des premières salles, l’évidence se dessinait : tout l’œuvre serait sombre, sinistre même. Cela apparaît comme un genre en soi, et c’est cela qui m’a de suite dérangé, ou plutôt, déçu. La haute teneur angoissante du moindre dessin est d’évidence recherchée. Une composition musicale de Marek Zebrowski m’envoûtait dès l’entrée dans les salles voisines de celle où une animation saccadée, belle et lugubre était projetée. La facture matiériste des peintures m’attirait, la liberté créative de Lynch m’impressionnait tant le nombre de recours à des stratagèmes tridimensionnels et lumineux est large : fils de fer structurés pour faire naitre des volumes émergeant des tableaux, branches collées et peintes, objets réels ou façonnés par l’artiste, têtes de poupées calcinées, fragments de mâchoires, chemises ou pantalons réels pour habiller des personnages fantomatiques collés en avant-plan sur des fonds dûment peints ou composés de collages d’images pixellisées, ampoules de couleur diffusant leur rayonnement sur les reliefs avoisinants…

Sans tomber dans la gratuité de l’effet pour l’effet, Lynch parvient à « sauver » l’ensemble de sa production par une puissante empreinte personnelle constituée par l’atmosphère sombre générale de son œuvre, par la récurrence de représentations toutes personnelles, tel que des personnages aux bras très longs représentés à la manière d’enfants ou de talents ignorés de l’art outsider. Je dis bien « sauver », car tout au long de la visite de cette importante rétrospective, quelque chose persistait en mon esprit, luttait à l’encontre de ce qui m’apparaissait comme une « démonstration artistique », un scepticisme m’habitait à l’endroit de l’ensemble de cet œuvre. J’y ressentais comme une volonté d’affirmer la capacité de se jouer de tous les modes d’expression : peinture, design, dessin animé, film, bande dessinée, photographie, gravure, musique… C’est peut-être cela qui m’a contrarié le plus : cette incroyable énergie gestuelle, cette volonté de créer sur de grands formats et en semblable quantité, cette morbidité systématique me sont apparues comme fascinantes et suspectes tout à la fois.

Cependant, aller et venir dans les nombreuses salles de l’exposition, dans des mises en scène recherchées et maintenant une ambiance de pénombre générale, apprécier la plasticité de chacune des oeuvres a suscité en moi l’envie pressante de poursuivre ardemment mes recherches. Et cela est de bon augure dans mon jugement lorsqu’un artiste parvient à m’inciter à regagner d’urgence mon atelier.

José Strée

1 mars 2019