On regarde comme on est regardé

 

On se croit toujours seul face à une œuvre. Au fait, combien de fois s’est-on trouvé seul dans un musée ? L’œuvre nous regarde-t-elle ? Sans doute pas, mais admettons qu’on est deux dans cette relation : soi-même, et l’œuvre. Cette relation est cependant illusoire. En effet, on est au moins trois au moment où on s’abandonne à la contemplation : l’œuvre, soi-même, et le tiers nous observant. Dans une galerie, un musée, on ne pose certainement pas le même regard selon qu’on est seul ou accompagné — il vaudrait toujours mieux être seul dans ces moments-là —. En compagnie d’une personne que l’on sait férue d’art, d’un enfant, d’une personne avec qui on désire entretenir un lien d’amitié ou d’amour…, notre parcours s’avère d’emblée tout différent. Selon la personne avec qui l’on partage le fait de regarder, on s’attarde sur certaines œuvres, on réfléchit, ou commente, on ne regarde plus pour soi-même. Dans un concours, le membre d’un jury est conditionné par l’idée qu’il se fait des dispositions des autres membres. Il réagit en modérateur ou en censeur en fonction des options prises par les autres. Il y a donc bien un conditionnement dans notre façon de voir et d’agir.

Dès l’allaitement maternel, on est regardé. D’ailleurs, si on ne l’a pas été, il est probable qu’on a refusé le lait nourricier. De la qualité et de la persistance de ce regard va dépendre le regard posé sur soi. De même, on fera des choix politiques différents en fonction de son héritage familial : soit, on vote comme ses parents soit tout à l’opposé, selon la qualité de la relation vécue avec eux.

Ce que l’on veut et ce que l’on veut voir sont donc déterminés par ce que les autres veulent, ou veulent voir. On désire acquérir telle voiture, tel vêtement, telle œuvre selon les choix ou non-choix de son entourage. Si l’on admire quelqu’un, on jette en toute vraisemblance son dévolu sur les choses qu’il ou elle admire. Si l’on a quelqu’un en détestation, on n’imitera pas ses choix. C’est évident, mais on ne le répète pas assez.

José Strée
Le 11 mars 2011